La symbolique de l'eau
Source de vie, de purification et de régénérescence du corps et de l’esprit, l’eau, jusque dans les traditions les plus anciennes, ondule sur ces trois vagues de symboles. De l’eau germinale et fécondante à l’eau baptismale ou lustrale, en passant par l’eau miraculeuse, thérapeutique, nectar d’éternité et l’eau diluviale, purifiante et régénérante, elle porte en elle la mémoire du monde et le secret des Dieux. Elle est signe de fertilité, de pureté, de sagesse, de grâce et de vertu.
Eau primordiale à la genèse des temps, eau diluvienne et rédemptrice, eau bénie et sanctificatrice, eau claire des sources bienfaisantes, eau calme et croupissante des étangs immobiles, eau rapide des cascades rafraîchissantes et des crues dévastatrices, cadeau du ciel qui donne la vie et sans qui nulle forme de vie ne peut perdurer, qui nourrit et féconde, colère de Dieu qui tue, inonde, détruit et ensevelit, l’eau va et vient, ressac éternel de la marée humaine, nappe apaisante et houle meurtrière, elle donne et reprend. En mouvement perpétuel, elle ne cesse de se transformer en vapeur, en pluie, en glace, en neige, en onde douce des ruisseaux et des fleuves, en eau salée de l’immense océan. Multiple et singulière, diverse et unique, informe et protéiforme, l’eau mythique déchaîne l’imaginaire au coeur de nos croyances et de nos peurs séculaires.
Nicole MARI
L'eau à l'origine de la vie
Élément premier, magma indistinct recouvrant la terre à la genèse des temps, les Eaux originelles préfigurent l’infini des possibles, où tout existe déjà de manière virtuelle, informelle, conceptuelle. Elles portent en elles, matrice féconde, le germe créateur, le levain du destin, toutes les promesses d’un monde potentiel en devenir, les prémices d’un développement, la naissance et la fin de toutes choses, l’ordre et le chaos, la vie et la mort en perspective. L’eau contient ainsi en elle toute la mémoire du monde, cire fluide et malléable, réservoir inépuisable de milliards d’empreintes, patrimoine génétique qui recèle les secrets de l’humanité.
Origine de vie, elle est matéria prima, la Prakriti hindoue pour qui, à l’aube des temps, "Tout était eau". "Les vastes eaux n’avaient pas de rives" confirme le Tao. Elle est wou-ki, sans faîte, pour les Bouddhistes chinois. Elle est prâna, sève et souffle de vie, chez les trantriques. Elle est mère et matrice pour les Hébreux. Elle est l’essence divine qui remplit la création et de ses vagues naissent toutes les créatures dans le Coran. Elle est chaos primordial, source originelle dans toutes les traditions connues, pour presque tous les peuples de la terre. C’est sous la forme d’un grand lotus, berceau du soleil au premier matin, que la création est sortie des eaux primordiales pour les Égyptiens. C’est sur ces mêmes eaux que repose le lotus où naissent les Dieux hindous Brahma, Varuna ou Vishnu. Un peu de terre, embryon de vie, est ramené des profondeurs à la surface des eaux par un sanglier plongeur. Brahmânda, l’oeuf du monde est couvé à la surface des eaux comme l’esprit de Dieu dans la Genèse ou dans la cosmologie babylonienne.
Ce souffle se transforme en vapeur d’eau pour créer le monde chez les Dogons du Mali. L’eau féconde la terre pour donner les Héros, des Jumeaux de couleur verte, moitié humains, moitié serpents. Comme chez les Bambara, elle est lumière et parole, le verbe générateur dont le principal avatar mythique est la spirale de cuivre rouge. L’eau est d’abord sèche, puis se forme l’oeuf cosmique qui engendre le principe d’humidité. La parole humide, en se manifestant, crée le monde, alors que l’eau et la parole sèches n’expriment que la pensée, une potentialité humaine et divine qui ne peut créer. Amma, le Dieu suprême ouranien crée son double Nommo, Dieu d’eau humide, guide et principe de la vie manifestée. Mais, dans les cieux supérieurs, en dehors de l’univers, il garde, pour lui, la moitié des eaux premières, qui demeurent sèches et symbolisent l’inconscient, l’occulte, le non-révélé. Dans la tradition germanique, la vie naît du ruissellement des eaux printanières sur la surface des glaces éternelles. Vivifiées par le vent du sud, elles se rassemblent pour former un corps vivant, celui du géant Ymir, d’où descendent tous les autres géants, les hommes et même les Dieux. Dans la cosmogonie babylonienne, les eaux primordiales s’étendaient de tout éternité, avant même la création du ciel et de la terre. De leur masse se sont dégagés deux principes élémentaires Apsou, divinité masculine représentant la masse d’eau douce sur laquelle flotte la terre et Tiamat, la mer salée d’où sortent toutes les créatures.
L'eau, mémoire du monde : cette théorie est reprise depuis peu par des scientifiques mais est sujette à de violentes controverses.
L'eau confidente des corps
Il apparaît donc bien que l'eau, indispensable à la vie, est également un facteur d'érotisme, non par accident, mais par essence, car les origines de ce rapport sont profondes et lointaines. C'est l'un des aspects positifs de l'ambivalence de l'élément liquide dont la puissance peut aussi tout dévaster, tout engloutir. L'eau est source, l'eau est déluge.
Entre les deux, se situe l'eau facteur d'équilibre. C'est cet aspect qui se développe actuellement dans nos sociétés post-industrielles où l'eau ne sert plus seulement à entretenir la propreté du corps, mais contribue à sa détente, son apaisement, voire sa guérison.
Dans l'habitat, la salle de bains est en passe de cesser d'être le lieu où l'on se lave pour devenir celui où les tensions et les douleurs du quotidien sont apaisées par des baignoires et des cabines de douche équipées de systèmes d'hydromassages, ou bien des spas profonds et conviviaux. Selon les cas, et l'espace exploitable, la salle de bains peut également bénéficier d'équipements fitness, d'une cabine hammam, d'un sauna.
A l'extérieur de l'habitat, les piscines se démocratisent, les centres de thalassothérapie et les établissements thermaux proposent des cures de remise en forme, de vitalité, où le corps est choyé, baigné, arrosé, enveloppé et massé. L'eau ainsi utilisée devient un élément d'équilibre, une voie pour retrouver l'harmonie entre le corps et l'esprit, l'unité ontologique. Cette tentation de confier son corps à l'eau, c'est un peu prendre l'eau comme confidente du corps et lui abandonner ce qui part de l'esprit pour se propager douloureusement aux organes.
Il y a, dans cet essor de l'hydrothérapie moderne, quelque chose qui vient de très loin, comme une référence à des rites dont nous avons perdu l'origine et le sens. Là où ne pensons voir que les produits de l'innovation technologique, se cache peut être un secret qui ne veut pas mourir, et que nous perpétuons sans le savoir. C'est vrai pour l'érotisme "affiché" de notre temps, qui, bien considéré, n'est jamais qu'une réinvention, ou recréation, de celui des temps anciens. C'est probablement vrai pour notre relation à l'eau.